Le design & l’organisation dans un monde en mouvements.

Sphères
8 min readMay 8, 2018

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La révolution numérique est un formibale défi pour initier un changement profond et répondre aux enjeux d’un monde nouveau.

Le monde est complexe et certes il l’a toujours été. Mais une particularité agite notre époque, c’est la vitesse à laquelle s’opère les changements.

Changements dans les usages, les modèles économiques ou encore les frontières concurrentielles de plus en plus théoriques. La différenciation par les services fait rage. Et passer de la vente de produits à la vente de l’usage du produit nécessite une excellence nouvelle dans la compréhension des attentes, besoins, contextes et environnements des clients, des collaborateurs, des citoyens.

Du côté des technologies, elles sont rendues parfois quasi-incontrôlables car la vitesse à laquelle les systèmes se complexifient est époustouflante. Des voix s’élèvent d’ailleurs pour responsabiliser les concepteurs de ces systèmes : lis, cher lecteur, l’inspirant manifeste d’Alan Cooper pour « être un bon ancêtre ».

Et les grandes organisations qui à la fois doivent s’adapter à ces changements et par ailleurs les propulser, mènent depuis des années des programmes de transformation qu’elles ont qualifié de « digitale ». Ces programmes ont souvent pris en charge la lourde mission d’endosser ces efforts d’adaptation ou de mutation plus globaux face à ce nouveau monde complexe et technologique.

Et pourtant lorsque nous regardons les mouvements qui s’opèrent, ils sont certes amplifiés par les bouleversements opérés par le numérique mais il est réducteur d’en cerner les contours sur la seule frontière digitale. La transformation est bien plus profonde : nous parlons de manières de travailler, de modèles économiques, de stratégies de plateformes et de réseaux, voire de la place et du rôle de l’entreprise telle que nous la connaissons dans la société.

Et comprendre en profondeur cette complexité pour y trouver le sens pour les êtres humains et leurs organisations, c’est un défi quotidien pour une discipline comme le design. L’approche a donc un rôle majeur à jouer dans la définition et la mise en place de stratégies ou programmes de transformations en permettant :

  • De comprendre le “pourquoi ?” via l’exploration des attentes, besoins, problèmes, contextes et environnements des clients, collaborateurs ou citoyens. Tout en dessinant la vision systémique des enjeux pour l’organisation : objectifs financiers, réseau d’acteurs, réglementation, incertitudes, changements sociétaux…
  • D’analyser et modéliser les expériences vécues pour catalyser la réflexion sur ce qui sera vraiment utile pour les futurs utilisateurs / clients.
  • De prioriser pour se concentrer sur les projets ayant l’impact le plus fort : l’équilibre entre désirabilité, viabilité économique et faisabilité (technologique ou humaine).
  • D’expérimenter par le prototypage (de produits, de services, d’organisations, etc,.) pour confronter au plus vite les idées aux conditions réelles de l’usage pour permettre une itération rapide, comprendre à petite échelle les mécanismes de création de valeur et préparer l’industrialisation.
  • D’industrialiser et lancer à grande échelle pour avoir un impact puissant pour les utilisateurs et l’organisation.

En synthèse, se re-poser la question de la compréhension de l’intérêt de l’usage ou de l’expérience future plutôt que de se demander comment vendre une nouvelle technologie émergente, une stratégie à son marché ou même une nouvelle organisation à son entreprise.

L’exemple de BBVA, une banque qui a mis le design au coeur de sa transformation.

Récemment, Sphères a eu la chance de participer à un atelier d’échanges proposé par les équipes design de la banque BBVA dans le cadre de la conférence Interaction18 de l’IxDA.

BBVA, une banque internationale de 132 000 employés pour 72 millions de clients répartis dans plus de 30 pays. Et une institution « vieille » de 160 ans.

Mais c’est une institution qui a compris, et ce au plus haut niveau de son organisation, que les défis qui se produisent sur son marché ne pourront être relevés qu’en mettant au coeur du dispositif non pas les seules plateformes digitales à la mode mais plutôt des approches holistiques, centrées sur l’humain : client, collaborateur, citoyen.

Car bien sûr que le numérique tient et tiendra une place importante dans le futur. Mais, avec cette approche de transformation, ce qui est intéressant est que le numérique est de facto perçu à son échelle i-e comme une autre manière et une opportunité de concevoir des interactions nouvelles et intelligentes au service de la vision stratégique.

Insuffler avec force l’approche design dans l’organisation.

Avant de mettre à l’échelle des 132 000 collaborateurs, BBVA avait déjà un historique, une sensibilité sur les approches design en ayant travaillé à de multiples reprises avec des entreprises comme IDEO.

En 2015, le CEO de BBVA Carlos Torres Vila prend la décision de racheter une entreprise de design de la Silicon Valley (Spring Studios) pour travailler à sa propre transformation en interne. Ses concurrents directs dit-il ne sont plus ses confrères banquiers (finalement assez contrôlables) mais Amazon et Google (totalement incontrôlables).

Le département « Design Transformation » est né. Son rôle : dépasser les injonctions à innover et donner un cadre de travail, des outils pour vraiment le faire.

Pour cela, les équipes de la « transformation design », s’intéressent en premier lieu à comprendre les problèmes qui empêchent les employés de passer à l’action vers un nouveau BBVA. De provoquer un changement qu’il soit sur de nouveaux territoires économiques mais également sur les fondamentaux de la banque.

Trois problèmes majeurs ressortent de cette recherche, et font écho à beaucoup de situations similaires observés lors de démarrage de projets pour des clients de Sphères :

  • Une centricité sur la technique, la fonctionnalité plus que sur l’usage;
  • Des départements ayant tous un impact sur les composantes de l’expérience client silotés
  • Une culture du quotidien, du « business as usual », qui empêchent une ré-invention nécessaire

Ces trois aspects sont alors considérés par les équipes de design transformation comme le « gap » entre la vision “To bring the age of opportunity to everyone” et l’exécution de celle-ci.

Ce constat apporte un éclairage clé : ces projets de transformation doivent bien s’attaquer à recréer le lien entre la vision et l’exécution. Pour réussir, il est donc nécessaire de s’adresser aux deux populations : les responsables de la vision et ceux de la mise en oeuvre pour trouver les méthodes et les outils, processus pour limiter ou mieux articuler ce gap.

Pour BBVA, 3 routes possibles vers le changement

Pour combler ce vide, 3 routes ont donc été étudiées par BBVA. Un changement :

  • Large et éparse (exemple : formations en ligne)
  • Ciblé et profond (exemple : former intensivement une équipe, comme les équipes digitales)
  • Large et profond (exemple : délivrer des outils à un maximum de collaborateurs via des ateliers de travail sur-mesure)

Cette 3ème route, la plus ambitieuse est choisie puis validée par le CEO. Le rationnel est simple mais implaccable de logique : « chacun des 132 000 employés de BBVA ont et doivent avoir un impact sur l’expérience client délivrée ».

De facto, le changement devra donc être large et profond. La vision de la transformation par le design est posée.

Impossible quand on a ce défi d’opter pour une centralisation trop forte. À l’époque, l’équipe de transformation BBVA se limitait à 2 designers (à ce jour ils sont 9, pour une communauté de plus de 200 designers au global)…Le défi est alors de délivrer cette vision en essaimant la création de « profils hybrides » partout dans l’organisation. Profils capables de porter ces nouvelles approches au quotidien.

Ces personnes seront issues des différents métiers de la banque (y compris les métiers nativement « loin du client final ») qu’ils appelleront plus tard : « les design ambassadors ».

Pour s’assurer du nécessaire embarquement du top management à la démarche, des ateliers de 4h sont alors menés à travers le monde pour présenter cette nouvelle approche et avec un objectif très clair : déclencher une simple question clé de la part des patrons de la banque en fin d’atelier : « de quoi avez-vous besoin pour déployer cette approche ? ».

Aujourd’hui, il existe 1000 ambassadeurs après 2 ans de travail sur plus de 13 pays. Un credo pour ces ambassadeurs : « LEARN — DO — TEACH ».

Une approche d’enseignement des approches design est appliquée :

  • des ateliers d’introduction au design (LEARN),
  • des projets à réaliser sur une période de plusieurs mois (DO)
  • une pratique au quotidien pour animer les démarches avec les différents collègues, départements, pays (TEACH).

Un support opérationnel est assuré par l’équipe de transformation en central en cas de besoin.

Les enseignements clés pour ces projets de transformation par le design.

Cet atelier ainsi que l’observation des projets de transformation menés par Sphères, nous ont permis de mettre en évidence une liste d’enseignements ou de points d’attentions.

Loin d’être exhaustifs ou réplicables à la lettre, voici une liste d’enseignements ou de points d’attention pour démarrer ce type de projets :

  • Comme dans tout projet design, travailler sur une organisation nécessite de comprendre les problématiques du système de manière très précise. La recherche utilisateur au niveau client et collaborateur reste la clé de voute de tout projet. Nous devons y accorder du temps.
  • Embarquer les exécutifs clés de l’organisation très tôt dans le processus : faire toucher aux décideurs ce qu’est l’approche design. Ce qu’elle peut leur apporter à eux individuellement et à l’organisation au sens large. Comme le dit Mary et Anxo de BBVA, chez eux, l’enjeu sera de provoquer la question : « de quoi avez-vous besoin pour lancer cette transformation ? ». Et bien sûr préparez-vous à répondre à cette question.
  • Démontrer par le projet. Enchaînez les projets. Faites des exemples forts de résultats concrets de la démarche. Identifier des équipes dont le métier a un besoin prioritaire de cette approche et commencez par lancer des initiatives avec elles (exemple récent dans le cas d’un projet de transformation Sphères : les équipes data en recherche de cohésion et d’objectifs communs avec les autres entités de l’entreprise).
  • Faites simple. Ne complexifiez pas votre discours. Admettez les compromis au départ pour mieux vous faire accepter. « We had to make compromise at the beginning to prove our point » Mary Wharmby, Head of Design Transformation BBVA
  • C’est alors que fort de cette légitimité vous pourrez travailler sur la tâche plus longue et profonde de transformation des processus, des comportements, des normes. Le design comme système d’exploitation…
  • Cela peut paraître évident pour certains mais une telle approche doit intégrer une pluridisciplinarité dans le respect des expertises de chacun. Elle ne doit en revanche pas se passer de designers professionnels.
  • Vous aurez des détracteurs, car il est toujours plus aisé d’opérer des transformations par des projets plus traditionnels ou rassurants. Ecoutez les. Invitez les à s’exprimer sur leurs désaccords. Construisez sur ces griefs. S’ils sont non constructifs, avancez.
  • Faites preuve de l’esprit d’un entrepreneur. L’effectuation managériale vous aidera dans ce sens. Et comme le disait René Char : “Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’ habitueront.”.
  • Admettez dès le départ que cette démarche sera longue et ne sera probablement jamais terminée mais mesurez vos petits pas et vos grands pas.

Et d’expérience, quand les projets sont menés avec exigence et passion, les retours sur ce type de démarches sont extrêmement positifs à tous les échelons de l’organisation. On en souligne : la densité, la créativité, l’innovation, les impacts positifs sur le business et l’interne.

Un grand merci aux équipes BBVA pour cet atelier et plus particulièrement à Mary Wharmby et Anxo López pour les échanges.

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