Enseignements sur la conception d’une offre de service alimentaire innovante et durable pour le marché européen.

Sphères
10 min readSep 28, 2022

Manger pour apprendre. Apprendre à manger.

De la nécessité de transformer les habitudes par le développement des connaissances et d’une véritable éducation alimentaire : il est temps de passer du statut de manger pour se nourrir, à manger pour apprendre à se nourrir.

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Au cours d’une mission pour une marque agroalimentaire, nous avons conçu une nouvelle offre de service alimentaire à destination de 3 pays : la France, l’Allemagne et l’Italie.

Le défi était triple :

  • Comprendre les usages du repas des individus dans un contexte de télétravail avec des cultures différentes;
  • Comprendre les exigences de consommation alimentaire des individus;
  • Concevoir une offre de service de déjeuner en y intégrant la dimension durable, en accord avec la stratégie d’entreprise et en prenant en compte les spécificités culturelles;

Pour répondre à ces défis nous avons dû répondre aux questions suivantes : qu’est-ce qu’une “alimentation durable” ? Pourquoi lancer une nouvelle offre alimentaire ? Comment concevoir une offre alimentaire “durable” ? Comment diffuser cette nouvelle offre alimentaire ? Comment aider les consommateurs à adopter de nouveaux comportements ? Quelles sont les implications au sein de l’organisation de l’entreprise ?

Au terme d’une phase d’exploration, de conception et de tests, nous avons conçu les grands principes d’une nouvelles offre alimentaire à destination de 3 pays. Ce service propose d’accompagner les flexitariens dans leurs quotidiens grâce à des recettes préparées végétariennes inspirées des pratiques culinaires de différents pays, adossées à du contenu numérique pédagogique et instructif.

Notre alimentation, un des principaux leviers d’action pour mieux prendre soin de notre environnement.

Les impacts négatifs du système agro-alimentaire actuel sur la planète sont multiples.

La chaîne de valeur de l’alimentation a des impacts négatifs à toutes les phases “de la fourche à la fourchette” : depuis la production des ingrédients par l’agriculture, la transformation en produits finis, l’emballage, le transport, la distribution, jusqu’à la gestion des déchets.

Parmi ces impacts négatifs, nous pouvons en citer quelques-uns :

  • Les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui causent le réchauffement climatique
  • La pollution de l’eau et des sols due à l’utilisation de pesticides et d’engrais
  • L’utilisation des ressources d’eau douce
  • Les déchets générés par les emballages et la pollution sur notre environnement qui en résulte
  • Les rémunérations insuffisantes des agriculteurs, et leurs conditions de vie difficiles
  • La compétition des sols, (par exemple utiliser des terres pour la production de nourriture pour les animaux au lieu de la production alimentaire humaine), en Europe et dans le monde
  • La baisse de la biodiversité due à l’agriculture intensive,
  • Les risques pour la santé induit par la composition des plats préparés et par l’utilisation des pesticides.

Le dilemme des consommateurs

Depuis quelques temps déjà, nous assistons à une prise de conscience des enjeux environnementaux et de santé liés à l’alimentation. Par exemple, 24% des consommateurs français se déclarent “flexitariens” (Source Ifop — 2022); et tentent de réduire leurs consommation de viande (et d’augmenter leurs apports en végétaux). Ils le font pour des raisons de santé — les légumes sont perçus comme les aliments les plus sains — et d’engagement écologique.

Adopter une alimentation “durable” c’est, du point de vue du consommateur, réussir à prendre en compte les différents impacts des aliments dans nos choix de consommation.

Or cela est très difficile pour trois raisons :

  • Chaque impact de l’alimentation est complexe à comprendre, et nécessite une analyse poussée. Cela donne lieu à des interrogations telle que :Je voudrais acheter ces légumes bio mais ils sont emballés sous du plastique”. “Je voudrais manger ces fruits bio mais ils viennent de l’autre bout du monde”.
  • La compréhension des impacts de notre alimentation requiert des informations sur les produits, qui ne sont pas toujours fournis par les industriels et les distributeurs. Par exemple, en France, les consommateurs ont tendance à accorder une place prépondérante à l’origine géographique des aliments dans leurs choix de consommation (source : Sphères — étude qualitative 2022). Or, une tomate produite en France sous serre (hors saison) est plus émettrice qu’une tomate espagnole mais produite hors serre (source : Ademe)
  • Des deux raisons précédentes résultent une troisième : nous priorisons mal les actions à mener pour réduire l’empreinte écologique de notre alimentation et nous avons des idées reçues sur l’empreinte écologique des aliments. Par exemple, nous sous-estimons la différence d’émissions entre la production de viande et les autres aliments. En effet, un kilo de viande émet 5 à 10 fois plus de gaz à effet de serre qu’un kilo de céréales. Parmi les viandes, le boeuf en émet 50 fois plus (source : Ademe), qu’il soit produit en France ou importé (le transport ne représentant que 2% des émissions). Ainsi, la diminution de la consommation de viande et l’adoption de régimes à base de plantes est le premier levier de réduction des émissions de CO2, loin devant “manger exclusivement local” (source : Ademe).

Les choix éclairés de consommation sont donc loin d’être simples. Manger de façon “durable” est aujourd’hui un défi de taille pour les consommateurs, proche du parcours du combattant.

C’est pourquoi, certains utilisateurs éprouvent un sentiment d’impuissance et d’inutilité dans les actions, les privant ainsi d’une expérience culinaire satisfaisante, en phase avec leurs envies et leurs convictions.

Quelle réponse pouvons-nous apporter en tant que designer ?

En tant que designers, nous avons donc un rôle à jouer dans la compréhension de la complexité de ces besoins, dans l’apprentissage et l’accompagnement vers des modes de consommation responsables.

Pour mener à bien la conception d’une nouvelle offre de service alimentaire, nous nous posons d’abord les questions suivantes : comment créer une offre cohérente de bout en bout et “arbitrer” parmi tous les facteurs que l’on a évoqués plus haut ? Comment prendre ses décisions, c’est-à-dire prioriser les mesures de réduction d’impact, quand nous créons un nouveau produit alimentaire ? Comment faire comprendre au consommateur les choix et les engagements pris ? Comment concilier ces engagements avec la faisabilité et les impératifs de rentabilité de l’offre de service ?

Grâce à diverses recherches et entretiens utilisateurs, menés auprès d’une population française, allemande et italienne, active et urbaine, nous identifions une forte tension : la volonté de diminuer la consommation de viande, constatée chez beaucoup d’entre eux, se heurte aux obstacles du quotidien. “J’essaye de diminuer la viande, mais je n’ai pas d’idées” , “je ne sais pas cuisiner les légumes”… Sans parler du fait que les légumes ne sont pas toujours associés à la notion de plaisir et de gourmandise.

Deux besoins principaux émergent :

  • un besoin pratique et logistique : avoir accès à un repas sain et bon facilement, rapidement et à un prix accessible.
  • un besoin d’accompagnement et d’apprentissage : en savoir plus sur la nutrition d’un régime sans viande, avoir des idées de recettes et savoir comment les préparer.

Proposer une offre de repas “durable”

La cohérence sur toutes les composantes du service :

C’est à toutes les étapes du parcours des acteurs (consommateurs, collaborateurs entreprises, partenaires, distributeurs) et de production et pour toutes les composantes que la question de la durabilité se pose. Voici les pistes que nous avons envisagées :

  • La création des recettes : des recettes végétariennes qui ne contiennent que des conservateurs naturels (ex : citron, huile d’olive ou moutarde) pour réduire l’empreinte carbone du produit.
  • Les origines des ingrédients : privilégier des fournisseurs bio pour éviter certaines pollutions et réduire les émissions de CO2, privilégier les “légumes moches” pour réduire le gaspillage, privilégier le local quand cela est pertinent.
  • Le packaging: avoir recours à des packaging recyclés et recyclables ou compostables. Dans l’idéal, mettre en place un système de consigne.
  • La distribution de notre offre : plateforme de livraisons respectueuses de conditions de travail des livreurs, choix de marketplace dont le positionnement est cohérent avec notre marque.
  • La plateforme numérique liée à notre offre: sobriété écologique du site, alimentation en énergies durables des serveurs du site internet.
  • La communication de notre offre et le positionnement de la marque : transparence totale sur les impacts de production et de consommation, accompagnement du consommateur vers des habitudes alimentaires plus responsables (ex : recettes, aide à la cuisine, contenus sur les enjeux écologiques et de santé)

L’enjeu de la communication et de la transparence :

Un aspect particulièrement complexe du positionnement de la marque est de faire comprendre aux consommateurs les choix effectués, et ce malgré certains préjugés qu’ils pourraient avoir (cf début de l’article). Nous nous retrouvons donc à composer entre l’attractivité de l’offre, l’impact réel de notre service et la perception de “durabilité” des consommateurs.

Pour encore ajouter de la complexité, cette perception varie selon les caractéristiques et les perceptions culturelles des pays. En effet, d’après nos recherches, les consommateurs allemands attachent par exemple une importance plus grande à la présence d’emballages et au bio que les consommateurs Italiens et Français, qui placent l’origine des aliments et la composition comme éléments déterminants.

Une des solutions pour faire face à cette complexité est d’être aussi transparent et précis que possible dans les choix de conception. Par exemple, la marque Wholey Organics, qui offre un service de petit déjeuner vegan, propose un calcul et une explication de son bilan carbone détaillée et transparente sur les approximations qui ont été faites. Cela permet de fournir des éléments de comparaison et des ordres de grandeur de l’impact de l’offre, et de crédibiliser la démarche globale.

Nos six principes de conception d’une offre alimentaire durable :

Au terme de notre mission, nous sommes parvenus à la conclusion que le succès d’un projet d’offre d’alimentation durable dépendait notamment de six principes :

  • EDUCATION : L’accès aux informations et aux connaissances sur les impacts de notre consommation alimentaire est essentiel dans la conception et la communication d’une offre éco-responsable.
  • CONVICTION : La conception d’une offre de service dans une démarche éco-responsable implique des prises de positions en amont de la mise en place opérationnelle, car les critères associés à cette démarche influeront sur la conception de l’offre.
  • PRAGMATISME : La stratégie des petits pas : chercher à créer un service parfait dès le début peut mener à un sentiment de contraintes trop fortes et la tâche peut ainsi paraître impossibles à réaliser. Commencer sur une base saine mais imparfaite, et ensuite s’attaquer petit à petit à l’ensemble des éléments de la chaîne d’impacts semble plus facile. Par exemple, proposer des recettes entièrement végétariennes, puis des recettes entièrement bio et végétariennes et ainsi de suite.
  • TRANSPARENCE : Afin de garantir la confiance et le sérieux de notre engagement, notre offre doit être totalement transparente et cohérente : le glissement vers le “Greenwashing” est en effet un risque important et qui rendrait l’ensemble de la démarche contre-productive.
  • EXPERTISE : Il faut s’entourer d’experts : faire appel à des spécialistes de chaque étape de la chaîne de valeur pour concevoir le service et ainsi s’assurer de l’impact réel de notre offre.
  • INNOVATION : Pour garantir cette transparence et cette cohérence, la marque doit non seulement investir mais être profondément investie: la mise en place d’une telle offre nécessite des changements profonds de mentalité au sein de l’organisation.

Conclusion

Nous avons pu aux termes de ces projets se forger des convictions fortes sur la conception de service, en particulier dans le secteur agroalimentaire.

Pour nous, la définition d’une offre de service alimentaire durable, c’est donc :

  • un service dont les impacts négatifs sur l’environnement sont non seulement réduits au maximum, mais qui apporte aussi des impacts bénéfiques pour les éco-systèmes et les émissions de CO2. Nous ne pouvons plus nous contenter de faire “moins mal”.
  • un service qui accompagne dans l’évolution des mentalités, qui permet aux utilisateurs de progresser dans leurs comportements et dans leurs choix de consommation.
  • un service dont la marque tire sa puissance de son impact, de ses efforts et de ses prises de positions fortes sur les sujets environnementaux.

Nous mesurons aussi à présent l’ampleur des changements nécessaires, de la fourche à la fourchette, pour atteindre un modèle d’alimentation durable, y compris au moment de la conception de nouvelles offres. La difficulté de la tâche peut paraître insurmontable, toutefois la perspective des bénéfices en termes de qualité de vie et de santé issus de ces changements nous poussent toujours à agir.

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