Comment accompagner un projet d’innovation sociale ?

Sphères
13 min readDec 24, 2021

Partenariat de mécénat avec 21 l’Accélérateur d’Innovation Sociale de la Croix-Rouge française.

Depuis octobre 2019, nous aidons les équipes du programme intrapreneuriat de l’accélérateur 21 à relever l’un de ses plus grands défis : mieux interagir avec le réseau d’acteurs sur le terrain pour identifier, comprendre et agir sur leurs frustrations et leurs problèmes, par un accompagnement toujours d’actualité.

En parallèle de cette mission, nous accompagnons également les projets sélectionnés dans le diagnostic de leur besoin et agissons en tant qu’expert sur des problématiques spécifiques.

Nous vivons dans un monde où l’accompagnement social, la santé et le soin n’est pas accessible à tous.
La Croix-Rouge française nous permet d’être au plus près des problématiques concrètes du terrain et ainsi de pouvoir nous inclure dans l’amélioration de celles-ci.

Nous accompagnons l’accélérateur 21 au travers un mécénat de compétences et permettons aux collaborateurs de Sphères de s’engager dans des projets ayant des initiatives porteuses de sens pour le bien commun.

En 2020/2021, nous avons accompagné 3 initiatives :

  1. La télé-consultation itinérante — Comment pourrions-nous mettre à disposition des solutions de télé-consultation en zone de désertification médicale ?
  2. Modul’air — Comment pourrions mettre à disposition une solution d’hébergement modulaire pour les personnes en situation de précarité avec des faibles revenus ?
  3. Le Bus Sensoriel — Comment pourrions-nous donner du répit aux aidants et stimuler le bien-être des personnes en situation de handicap ?

Nous avions comme objectif d’accompagner et d’aider les porteurs de projet à concrétiser leurs solutions. Malgré les différents états d’avancement de ces projets, nous avons pu les aider jusqu’au jury final et clore la troisième saison du programme d’accompagnement 21.

Nous allons vous parler plus en détail du déroulement de cette 3ème initiative, le bus sensoriel.

L’étude de cas

Temps : 2 mois et demi
Équipe : Une accompagnatrice du programme 21 — Un employé de la Croix-Rouge française spécialisé dans le handicap — L’équipe éducative de la MAS (Maison d’accueil spécialisé) qui est le “porteur de projet”- Une stagiaire de la MAS — Une designer de Sphères

La MAS (Maison d’accueil spécialisé) propose un service, appelé Bus sensoriel, qui permet d’apporter du bien-être aux personnes à déficit sensoriel à proximité de leur domicile, par des séances personnalisées grâce à un véhicule sensoriel aménagé et une équipe éducative spécialisée. Ces séances permettent aux aidants et familles d’obtenir deux heures de “répit”.

C’est au premier confinement que cette idée voit le jour. Les familles sont chez elles et doivent s’occuper à temps plein de leur proche à situation de handicap.

Qu’est-ce qu’un déficit sensoriel ?
C’est un handicap qui résulte de l’atteinte d’un ou plusieurs sens. Il y a plusieurs degrés de déficit. Il se caractérise majoritairement par des incapacités issues d’une déficience auditive ou visuelle. Ce type de handicap entraîne, presque automatiquement, des difficultés de communication et d’intégration sociale.

Dans le cadre du programme 21, Sphères a comme objectif d’accompagner dans la co-conception et de guider les porteurs de projet dans la matérialisation de leur service et de l’aménagement d’un véhicule.

Nous avons procédé en 3 phases :

  1. Une phase d’exploration incluant une rencontre des acteurs sur le terrain ;
  2. Un travail d’accompagnement sur le choix du véhicule ;
  3. Une phase de conception concrète de solutions d’aménagement du véhicule, élément central du service.

1. PHASE D’EXPLORATION

Exploration terrain

Afin de mieux se rendre compte de ce qu’est une activité sensorielle, nous sommes allés sur place, au bassin d’Arcachon.

Certaines personnes ne ressentent pas l’enveloppe de leur propre corps et sont souvent entièrement dépendantes de l’équipe éducative ; c’est le cas des deux personnes que j’ai rencontré lors de ces séances. L’équipe leur propose des séances “d’effleurage” — c’est le terme utilisé par les encadrants de la MAS — du corps avec des balles massantes, des appuis crâniens ou autres stimulations musculaires. Cette rencontre nous a amené à imaginer le cas le plus extrême que nous pourrions rencontrer lors des séances.

Le Snoezelen
L’équipe éducative utilise une démarche d’accompagnement basée sur des propositions de stimulation et d’exploration sensorielles, privilégiant la notion de « prendre soin ». Cette approche s’appelle “Snoezelen”. C’est la contraction de snueffelen (renifler, sentir) et de doezelen (somnoler) en néerlandais, et induit la notion d’exploration des sens, de détente et de plaisir.

Ce que nous en avons retenu :

Déroulement de la séance

Le service suit un parcours en 3 étapes : l’inscription à une séance, la séance d’activité en tant que telle et le bilan de la séance.

Pour s’inscrire ou inscrire un proche à une séance, l’équipe éducative doit organiser une première rencontre qui déterminera le type d’activité à réaliser et le type d’objets à utiliser pendant la séance.

Le jour J, l’équipe éducative vient chercher la personne à son domicile et l’installe dans le véhicule. La séance dure 2 heures, durant lesquelles la personne suivra des activités sensorielles en ressentant des sensations tactiles, de mouvement ou/et vibratoires. En fin de séance, l’équipe éducative fournit le bilan de la séance à la famille pour lui permettre de voir les activités réalisées et les évolutions de la personne au fil des séances.

Cartographie de l’expérience idéale

Grâce à cette exploration terrain, nous avons retranscrit les parcours des différentes parties prenantes ainsi que leurs émotions et décortiqué le service global. Cela a permis à l’équipe éducative de se projeter, de mieux cibler les freins et donc de prendre en compte les attentes, besoins et frustrations des utilisateurs dès le début de la conception du service.

Cartographie de l’expérience

Enseignements

Grâce à cette phase d’exploration, voici ce que nous retenons.

Durant l’activité :

  • L’activité coeur du projet est l’activité sensorielle. Elle est basée sur une méthode de stimulation multi-sensorielle appelée Snoezellen ;
  • une personne à la fois peut participer à la séance car il y a des chances que des personnes à déficit sensoriel ne soient pas compatibles ou que ce soit trop complexe à gérer pour une personne ;
  • il faut prendre en compte le besoin de l’équipe éducative qui va être l’acteur principal de ce service.

Dans le véhicule :

  • L’équipe éducative veut mettre le maximum d’éléments dans le véhicule ;
  • certains éléments prennent trop de place et risquent de ne pas être intégrés ;
  • les objets dit “de base” restent dans le véhicule. S’il y a besoin d’autres éléments, ils seront amenés en complément.

2. CHOIX DU VÉHICULE

Le choix du véhicule a été une étape longue et cruciale car il dépend à la fois du budget, des moyens de financement et de l’homologation PMR.

Avant notre intervention sur le projet, des ébauches de plans ont été réalisées par la MAS pour constituer un cahier des charges et dialoguer avec l’aménageur de véhicule. À notre arrivée sur le projet, une de nos activités a été de remanier ces plans en les détaillant au sein du cahier des charges pour faciliter leur compréhension et donner plus de précisions à l’aménageur.

Dessin de la MAS vue de dessus et de côté — Dessin de la MAS côté droit intérieur
Cahier des charges — Schéma de côté et de dessus du véhicule

Pour opérer un tel service, nous nous sommes vite rendu compte que le véhicule serait imposant. Il doit être capable d’accueillir des toilettes, une zone d’activité, une zone extérieure et des séparations entre ces zones de manière à avoir tous les éléments souhaités dans le véhicule.

Après discussion avec l’aménageur, il s’avère que le plan d‘aménagement n’était pas faisable, car les mesures ne correspondaient pas au véhicule qu’il pouvait aménager lui-même.

Pour répondre à cela, nous avons songé à l’aménagement d’un camping-car mais les aménageurs doivent homologuer les véhicules PMR auprès de la DREAL et c’est un processus qui peut facilement durer un an.

Nous sommes alors partis à la recherche de véhicules pouvant accueillir tous ces éléments. Deux véhicules nous ont semblé intéressant, le Renault Master pour le prix et le Volkswagen Crafter pour l’espace.

L4H3 — L3H2

Nous avons créé des représentations 3D des 2 véhicules pour visualiser l’espace intérieur et les possibilités en terme d’aménagement afin de faciliter le choix de l’équipe projet.

En terme d’espace, le Volkswagen Crafter L4H3 est plus adapté car il a la capacité d’accueillir tous les éléments que l’équipe éducative souhaite. Malheureusement il nécessite un permis C si le poids dépasse 3,5 t avec l’aménagement et une homologation du véhicule en PMR avec la DREAL.

Notre choix s’est donc porté sur le Renault master L3H2 car même s’il ne peut pas accueillir de toilettes à cause d’un volume restreint, il a comme avantage d’être plus petit et donc plus maniable lors des manœuvres ainsi que pour se garer. En plus d’être moins cher, il permet d’éviter le long processus d’homologation PMR.

Aménagement Renault Master vs Volkswagen Crafter

CO-CONCEPTION DE L’AMÉNAGEMENT

Dès que nous avons fait le choix du véhicule, nous nous sommes penchés sur l’aménagement intérieur. Après avoir observé tous les objets et pris en compte toutes les demandes de l’équipe éducative, nous avons préparé un atelier de priorisation des éléments à intégrer dans le véhicule.

Priorisation du matériel

Atelier à la MAS de Lanton

Nous avons listé ensemble du matériel nécessaire à l’activité de l’équipe éducative puis nous avons organisé et priorisé tous ces éléments en fonction du volume qu’ils prennent, de leur coût et de leur utilité.

Voici la liste les éléments nécessaires à l’activité devant s’intégrer dans un véhicule de 12,4 m3 :

  • Un fauteuil roulant, pour les personnes ne pouvant pas marcher ;
  • une table à langer pour adulte, pour laver quelqu’un ou pour proposer une stimulation sensorielle en hauteur ;
  • un hayon, pour amener le fauteuil roulant à l’intérieur ;
  • une lève-personne, pour les personnes ne pouvant pas se déplacer seules ;
  • un siège normal, pour une personne à l’arrière ;
  • un rail en H, pour déplacer le lève-personne dans tout les coins de la pièce ;
  • un Fatboy, pour allonger la personne dans un endroit confortable ;
  • des rangements, pour mettre tous les objets nécessaires à l’activité, au rangement et au soin ;
  • une sangle à enrouleur permettant de retenir le fauteuil roulant pendant que le véhicule se déplace ;
  • une arrivée d’eau, pour boire et utiliser la table à langer ;
  • un espace goûter/repas pour le personnel éducatif ;
  • un matelas au sol qui permet plus de confort.

Intégration dans le Renault master L3H2

Pour mesurer au plus juste tous les éléments, nous avons identifié des éléments similaires à la MAS, sur des sites spécialisés ou grâce au Modulor du Corbusier.

Exemple de rail en H — Les objets nécessaires à l’activité — Une table à langer pliante

Le périmètre d’installation dépend des mesures du véhicule que nous avons trouvées grâce aux fiches techniques Renault et au site de simulation de chargement de Renault. De cette manière, nous avons pu retranscrire les mesures intérieures de manière plus réaliste.

C’est grâce au prototypage de spacialisation (que vous voyez ci-dessous), nous avons pu mieux préciser les volumes et mieux se rendre compte de l’ergonomie.

Nous avons proposé différents types d’aménagement pour permettre à l’équipe de se projeter dans les futurs espaces imaginés :

La dernière version a été sélectionnée car contrairement aux deux autres, elle est le bon compromis entre une zone d’activité assez importante et un maximum de rangement.

Trois avantages ressortent de cette solution :

  • elle permet de structurer les rangements comme on le souhaite et d’avoir au centre un évier ajouré vers l’avant du véhicule qui permet au conducteur de voir et entendre ce qui se passe à l’arrière;
  • la zone d’activité s’adapte à la quasi-entièreté de l’arrière du véhicule en laissant la place;
  • pour finir, nous avons fait le choix, avec l’aménageur, d’utiliser un hayon qui se rétracte en dessous du camion. De cette manière, nous pouvons gagner de la place à l’intérieur du véhicule pour les deux sièges.

Scénario fonctionnel de l’activité

Une fois que les éléments structurants de l’aménagement du véhicule ont été validés, nous avons pu illustrer l’utilisation du matériel et les interactions au sein du véhicule durant une séance d’activités.

Inspirations et idées pour l’aménagement

Pour pouvoir se projeter sur l’aménagement intérieur du véhicule, nous avons proposé différentes idées et inspirations à l’équipe projet.

Ces inspirations matérielles concernent les rangements d’objets nécessaires aux séances, des idées d’éveil des sens sous forme de jeux interactifs ou idées d’aménagements des zones.

Perception visuelle du service et identité

Pour compléter notre travail, nous avons proposé un atelier pour comprendre la manière dont l’équipe souhaite que le service soit perçu. Durant cet atelier, nous avons identifié 6 thèmes qui évoquent ce service : évasion, détente, ludique, empathie, stimulation et adaptation.
L’objectif de travailler avec des thèmes évoquant le service est de faciliter, à terme, la construction de l’approche graphique sous une forme concrète : nom du service, identité visuelle du service, supports de communication…

Nous avons terminé par la création d’un guide permettant à l’équipe éducative d’être plus autonome dans la conception du service et sa cohérence globale. Il s’agit d’un document qui répertorie et conseille sur le ton et le langage à adopter, les couleurs, les formes graphiques, les matériaux et le style typographique à utiliser en fonction de ce que l’équipe souhaite véhiculer.

C’est grâce à ces éléments que l’équipe pourra communiquer de façon plus cohérence auprès des différents acteurs et à chacune des étapes du service.

Atelier de perception visuelle du service
Le service
Matériaux, formes et couleurs

CONCLUSION

L’objectif de ce type d’accompagnement en tant que designer est d’aider les porteurs de projets à avancer avec des compétences qu’ils n’ont pas au quotidien. Cela demande une attention particulière dans le partage de nos compétences ; Faire en sorte d’être compris, proactifs et pertinents. Ce projet en collaboration avec la Croix-rouge nous a permis de travailler sur 3 défis différents : faciliter la communication entre les porteurs de projet et leurs partenaires, allier conception et accompagnement et s’adapter à l’emploi du temps contraint du monde médical-social. Cela nous a permis d’utiliser un éventail large de nos compétences et de manière assez complète : scénarios d’usages, 3D, animations d’ateliers etc…

Nous sommes fiers d’avoir accompagné cette structure et de leur avoir transmis le goût de l’innovation. Nous remercions la Croix-Rouge française de nous permettre d’être au plus près des problématiques terrain et de pouvoir s’engager dans des projets ayant des initiatives porteuses de sens pour le bien commun.

Phane de la Tribot Spière— Designer

Thomas Nicot — Senior Service Designer & Strategist

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